La mode fait souvent parler d’elle. Mais cette fois, ce n’est ni une tenue trop osée ni un podium trop engagé qui agite la fashion sphère. C’est une page pub. Ou plutôt une double page. Dans son numéro d’août, le prestigieux magazine Vogue a publié une publicité pour la marque Guess… mettant en vedette une femme qui n’existe pas. Créée entièrement par intelligence artificielle, la mannequin virtuelle a déclenché une tempête sur les réseaux, relançant les débats autour de la place de l’IA dans la mode. Fantasme technologique ou fail total ? Le débat est lancé.

Une image trop lisse pour être vraie
Sur papier glacé, tout semble normal : une belle blonde, sourire aux lèvres, robe d’été rayée. C’est typique des campagnes estivales. Mais à y regarder de plus près (ou en lisant les minuscules crédits en bordure de page), surprise : cette mannequin est générée par IA. C’est une création de la société Seraphinne Vallora, spécialisée dans les modèles numériques hyperréalistes. Une première dans les pages de Vogue, même s’il ne s’agit "que" d’une publicité et non d’un choix éditorial du magazine.
Sauf que ça ne passe pas. Les critiques fusent sur TikTok, Instagram et X. Les internautes dénoncent une mode qui se coupe un peu plus de la réalité. Pourquoi utiliser des visages inventés alors qu’autant de mannequins attendent des contrats ? Pourquoi promouvoir une beauté encore plus inaccessible, encore plus artificielle ? Et surtout, pourquoi le faire dans un magazine aussi iconique que Vogue, censé refléter les évolutions de la société ?Au cœur de la critique, une question simple : est-ce que ce genre d’image fait avancer la mode, ou est-ce qu’il la tire en arrière ? Car au fond, cette mannequin IA, c’est aussi une silhouette ultra-fine, une peau sans défaut, des proportions idéalisées. Bref, le retour des vieux standards ? Beaucoup en ont l'impression.
Quand l’IA débarque dans la mode
Derrière ce visuel très léché, il y a un business. Celui de l’intelligence artificielle appliquée à l’image. Et pour les marques, l’intérêt est clair : créer une campagne avec une mannequin IA coûte souvent moins cher, va plus vite et permet un contrôle total. Pas besoin de studio, pas de styliste, pas de maquilleur. Et surtout : aucun imprévu. La pose est parfaite, l’éclairage millimétré, le sourire figé. L’image devient un produit calibré, presque sans vie. Mais ce choix technologique ne vient pas sans conséquence. Pour les mannequins professionnels, surtout celles et ceux qui ne rentrent pas dans les canons traditionnels, c’est un nouveau mur à franchir. Les opportunités se réduisent, les visages deviennent interchangeables et l’humain est relégué à l’arrière-plan. Sans parler de l’impact mental. Voir des corps irréels dans les pubs n’a rien de nouveau.
Mais savoir qu’ils sont totalement inventés les rend encore plus inaccessibles. L’IA ne se contente plus de lisser les imperfections : elle les supprime. Les métiers autour des shootings sont aussi touchés. Photographe, coiffeur, assistant lumière, régisseur : tout le monde est concerné. Une mannequin IA, c’est toute une équipe qui saute. Et même si les agences comme Seraphinne Vallora mettent en avant le "vrai travail" derrière ces créations, la sensation de déshumanisation reste forte. La mode devient un terrain d’expérimentation technologique mais à quel prix ?
Une industrie déjà fragile sous pression
Ce qui inquiète, c’est que cette image même si très belle, semble venir d’un monde parallèle. Une mode sans émotion, sans histoire, sans vécu. Là où une vraie mannequin incarne une vision, un engagement, un parcours, une IA ne transmet rien d’autre que du visuel. Et dans un secteur déjà critiqué pour son obsession de la perfection, ce n’est pas franchement rassurant.
Certains y voient aussi une forme de trahison. Vogue, longtemps critiqué mais aussi salué pour ses récentes ouvertures vers plus de diversité, plus de corps non-normés, envoie ici un signal confus. Est-ce un simple coup marketing ? Un test pour voir si ça passe ? Ou un nouveau virage vers une mode ultra-digitalisée, où l’esthétique prime sur le message ? Difficile de le savoir, surtout que le magazine reste pour l’instant silencieux. Et pendant ce temps, sur Instagram, les commentaires se déchaînent sous les posts de Guess et Seraphinne Vallora. Boycotts appelés, indignations partagées, hashtags lancés. L’irruption de mannequins virtuels dans la mode n’est sans doute qu’un début. D’autres marques suivront. Pour beaucoup, c’est la preuve qu’on remplace l’humain par l’algorithme. Que l’on gomme les défauts, mais aussi l’authenticité. L’IA est un outil, c’est vrai. Mais dans les mains de l’industrie, elle risque de devenir bien plus qu’un simple effet de style.