La série Adolescence, sortie le 13 mars 2025 sur Netflix, bouleverse les débats publics. On y suit Jamie Miller, 13 ans, accusé du meurtre d’une camarade de classe. Mais au-delà de l’intrigue, le véritable choc réside dans ce qu’elle raconte : l’influence grandissante de la culture incel, des discours masculinistes et des communautés toxiques en ligne, qui façonnent de plus en plus les comportements des jeunes garçons. Véritable phénomène, la mini-série est aujourd’hui utilisée dans certains pays comme outil pédagogique pour sensibiliser aux dangers de ces dérives. Un sujet qui résonne d’autant plus fort à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1ᵉʳ décembre, alors que Sidaction tire la sonnette d’alarme : la montée des discours masculinistes menace directement la santé sexuelle des jeunes.
Une génération happée par les discours “alpha”
Selon une enquête OpinionWay commandée par Sidaction, les chiffres sont sans appel : 66 % des 16-34 ans connaissent au moins un influenceur masculiniste et 37 % consomment leurs contenus. Chez les 25-34 ans qui suivent ces comptes, un sur deux estime que ces influenceurs “disent enfin la vérité”. Ces communautés prônent une virilité agressive, la défiance envers les femmes et un rejet frontal des discours féministes. Pour beaucoup de jeunes hommes, ces contenus deviennent un repère identitaire :
- 38 % affirment qu’ils les aident à se sentir plus “hommes”.
- 48 % y voient une “autre vision que celle portée par les féministes”.
- 34 % en ont tiré des “conseils à mettre en pratique”.
Une adhésion massive qui s’explique aussi par un sentiment de persécution : 52 % des hommes pensent que la société “s’acharne sur eux”, et 58 % jugent que, depuis #MeToo, les médias caricaturent les hommes.
Un impact direct sur le consentement et les pratiques sexuelles
Ces discours ne sont pas qu’une idéologie abstraite : ils modifient les comportements intimes. Sidaction s’alarme d’un phénomène inquiétant : la banalisation du non-respect du consentement.
Quelques chiffres :
- 35 % des 16-34 ans pensent qu’un homme n’est pas responsable si une femme ne dit pas clairement “non”.
- 37 %estiment que demander le consentement “gâche la spontanéité”.
- 31 % se sentent “plus puissants” lorsqu’ils ne portent pas de préservatif.
- 16 %considèrent le préservatif comme un signe de faiblesse.
Et surtout 18 % des 25-34 ans disent “comprendre” le stealthing, le retrait non consenti du préservatif pendant l’acte une pratique pourtant reconnue comme violence sexuelle dans plusieurs pays. Chez ceux qui adhèrent aux théories masculinistes, ce chiffre grimpe à 34 %. Pour Florence Thune, directrice générale de Sidaction, le constat est clair : “Ces croyances augmentent les prises de risques et déstabilisent profondément la culture du consentement, pourtant centrale dans la lutte contre le VIH.”
Sexualité, stéréotypes et dangers pour la santé publique
La montée du masculinisme ne se limite pas au rapport au consentement. Elle renforce également les stéréotypes sexistes :
- 43 % des 16-34 ans pensent qu’une femme avec de nombreux partenaires “ne se respecte pas”.
- 25 % estiment qu’une femme séropositive ou ayant une IST a “trop de partenaires”.
- 24 % jugent qu’une femme qui exprime son désir sexuel ne veut pas être réellement respectée.
Ces représentations ont des conséquences lourdes. Alors que les nouvelles séropositivités chez les 15-24 ans ont augmenté de +41 % en 10 ans, la prévention régresse : baisse du port du préservatif, méfiance envers les messages institutionnels, comportements sexuels plus risqués.
Des plateformes qui amplifient les contenus toxiques
Sidaction pointe aussi du doigt le rôle des réseaux sociaux : “Leurs algorithmes privilégient les formats sensationnalistes”, rappelle l’association. Résultat : les discours masculinistes deviennent viraux, et leurs influenceurs qu’ils se présentent comme “alpha”, survivalistes, love coaches ou crypto gourous inondent le fil d’actualité des adolescents. Pour contrer cette tendance, Sidaction a lancé une campagne audacieuse, Alpha Safe, en infiltrant TikTok. Pendant dix jours, l’association a diffusé de faux influenceurs “alpha” générés par IA… mais qui délivraient des messages inverses : prévention, respect, consentement, dépistage, lutte contre les discriminations.
Une urgence éducative : rétablir l’EVARS
Face à cette explosion de contenus toxiques, Sidaction rappelle une évidence : la meilleure arme reste l’éducation. L’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS), obligatoire depuis une loi de 2001 prévoyant trois séances par an du primaire au lycée, est pourtant loin d’être appliquée. C’est pourquoi Sidaction, avec le Planning Familial et SOS Homophobie, a saisi le tribunal administratif de Paris pour faire appliquer la loi. Le délibéré est attendu début décembre. Pour l’association, ce n’est plus seulement un enjeu pédagogique :c’est un impératif de santé publique.
Comprendre, prévenir, agir
La montée du masculinisme révèle bien plus qu’un simple mouvement idéologique : elle transforme profondément la sexualité, le rapport au consentement et la vision des femmes chez les jeunes hommes. Dans un contexte d’augmentation des IST, de recul de la prévention et de virilité toxique omniprésente, l’éducation devient une urgence absolue. Entre séries, campagnes, actions juridiques et travail de terrain, une bataille essentielle s’engage : celle de protéger les jeunes, leurs relations, et leur santé. Prévenir n’a jamais été aussi vital.