Édouard III : une pièce oubliée de Shakespeare renaît à la Comédie de Béthune !

Claire Delattre
Claire Delattre

Curieuse et passionnée de culture, je suis toujours en quête de nouveautés pour m'enrichir et partager mes découvertes.

Il a fallu attendre 429 ans pour qu’une compagnie française mette en scène la pièce monumentale qu’est Édouard III de William Shakespeare. Dernière en date de ces drames historiques, elle s’appuie sur le personnage éponyme et son rôle dans la conquête du trône français.

Entre passages humoristiques et scénographie novatrice, le metteur en scène Cédric Gourmelon emporte le spectateur dans l’univers shakespearien. Rattachée en 2010 à Shakespeare, elle a été publiée pour la première fois anonymement en 1596 mais n’a été que très peu montée. Dotée d’une grande modernité, elle oscille sans cesse entre tragédie et comédie. "Elle démarre dans un style tragique et se fait ensuite plus épique, tirant vers le tragi-comique. Cela en fait une matière dramatique unique", s’émerveille Cédric Gourmelon. Écrite sous le règne d’Élisabeth Ier, la pièce accueille des femmes qui portent la voix de la raison et agissent de manière juste dans un monde dirigé par les hommes.

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Une pièce en deux temps

La France et l’Angleterre sont en conflit quant à la succession du trône français par Édouard III, roi d’Angleterre, ce qui les plongera dans la Guerre de Cent Ans en 1337. Encouragé par le comte de Richmond, il décide de partir en guerre contre la France dès l’acte I mais commence par se rendre à la frontière écossaise pour repousser les assaillants. Il y rencontre alors la comtesse de Salisbury dont il tombe éperdument amoureux. Il lui déclare sa passion à l’acte II mais elle ne peut en supporter le déshonneur au vu de leurs épousailles respectives et elle menace de se suicider s’il poursuit ses avances.

Édouard cède et commence son périple guerrier en France, à l’acte III, où il repousse les troupes françaises jusque Poitiers. Il ordonne à son fils, le prince Noir, ainsi qu’à Audley de les poursuivre, partant lui même, aux côtés de Derby, pour assiéger Calais. La Bretagne se soumet à son règne tandis que le prince Edouard, fils du roi du même nom, parvient à capturer le roi Jean ainsi que ses fils : Charles et Philippe au cours de l’acte IV. La ville de Calais accepte sa soumission au nouveau roi de France, Edouard III en acceptant d’offrir 6 hommes comme demandé, clôturant ainsi l’acte V. Ces personnages sacrifiés ne sont autres que les Bourgeois de Calais : Eustache de Saint Pierre, Jean de Fiennes, Andrieux d’Andres, Jean d’Aire, Jacques et Pierre de Wissant. Ils constituent le sujet d’une des plus célèbres sculptures d’Auguste Rodin, mythifiant leur héroïsme par une amende honorable.

Une troupe organisée

"C’est le théâtre de la grâce et de la pureté aussi bien que de la noirceur et de la cruauté" décrit le metteur en scène. Pas de doute, c’est bien une œuvre de William Shakespeare ! Une fois de plus, le dramaturge se plonge dans la complexité intrinsèque aux êtres humains, présentant des personnages aux caractères contrastés. Ceux-ci sont répartis entre 10 comédiens intergénérationnels : Zakary Bairi, Laurent Bardot, Jessim Belfar, Vladislav Botnaru, Guillaume Cantillon, Victor Hugo Dos Santos Pereira, Manon Guilluy, Fanny Kervarec et Christophe Radandra. Avec pas moins de 50 costumes fabriqués in situ, la compagnie nécessite 100m3 pour déplacer la totalité de ses accessoires et notamment les décors. Metteur en scène mais aussi directeur du centre dramatique national Comédie de Béthune depuis le 1er juillet 2021, Cedric Gourmelon entend bien en faire un lieu de référence de la création théâtrale en y inaugurant son spectacle en octobre 2025. Le lieu accueillait d’ailleurs 11 ans plus tôt, la pièce Henri VI, mise en scène par Thomas Jolly.

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Une mise en scène entre construction et déconstruction

Dès les premiers instants, la modernité de la mise en scène saute aux yeux. Le spectateur surpris voit entrer les comédiens en tenue de ville décontractée et se placer face à eux pour déclamer leur texte. C’est le personnage éponyme qui lance le début des costumes en brandissant symboliquement son épée et en revêtant sa couronne. Le comédien s’imprègne directement des caractéristiques de son personnage face au public, le construisant ainsi aux yeux de tous. Par la suite, pris de folie en l’absence de réponse de la comtesse, il apparaît en longue tunique et se revêt une nouvelle fois sur scène à l’annonce de sa venue. Le personnage se couvre alors de ce qui fait de lui un roi pour accueillir la dame, façonnant l’image qu’il doit renvoyer en société.

La déconstruction passe également par l’habillement lorsque les comédiens amènent une chaise où sont placées leurs mises, c’est-à-dire leurs accessoires. Les 5 comédiens représentant les Bourgeois de Calais se déshabillent jusqu’aux dessous à la vue de tous. Ils retirent tout élément permettant leur identification pour ne devenir que des hommes et femmes presque nus se sacrifiant pleinement à l’art du théâtre. Les décors jouent également un rôle dans la déconstruction avec l’ouverture progressive du mur de fond au fur et à mesure de l’intrigue. Celui-ci vient clôturer la première partie de l’œuvre en s’écartant pour laisser place aux scènes de combat accompagnées de fumée.

Une œuvre unique en son genre

"Une drôle de pièce de Shakespeare" la qualifie Cédric Gourmelon. Caractéristique de son style d’écriture, elle n’en reste pas moins étonnante. Passant d’une ambiance à l’autre avec contraste, elle s’affranchit de transitions, prêtant ainsi à sourire. De l’amour à la guerre, elle aborde une variété de thèmes dans un panel de registres. La présence de femmes fortes face à la contrainte et l’absurdité de la guerre vient rendre la raison aux hommes qui agissent parfois avec une grande naïveté.

L’interprétation, bien que littérale, du metteur en scène pousse la salle à rire à de nombreuses reprises, notamment face à l’incrédulité du roi Édouard III qui en vient à confondre le roi de France et la comtesse de Salisbury. Pousser un public entier à l’hilarité avec une pièce de William Shakespeare, qui l’eut cru ? C’est là tout le pari de Cédric Gourmelon qui reste fidèle au texte initial en y ajoutant un jeu d’acteur caricatural à souhait lorsqu’on s’y attend le moins. Le public est emporté par les acteurs qui brise le quatrième mur et tantôt se confient, tantôt le haranguent avec ironie : "Vous défendez la France ! Battez vous, français, battez-vous !".

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